MOLLE Jean, Joseph, L’Heureux Né le 24 avril 1876 à Cette
(Hérault), mort le 27 septembre 1918 à Paris (3e) ; avocat ; militant socialiste
; maire de Cette (Sète à partir de 1927) ; conseiller général et député de
l’Hérault. Fils de François Molle,
limonadier à Sète et de Jeanne Raynaud, sans profession, il se maria le 19 février
1900 à Sète avec Marie, Juliette Molle (aucun document ne nous permet
d’établir un lien de parenté, si ce n’est la similitude de noms). Ils eurent
une fille, née le 4 décembre 1901, à laquelle ils donnèrent les prénoms de
Juliette, Josèphe, Liane (volonté de retrouver les initiales des prénoms du père
J.J.L ?). Cette enfant mourut 40 jours plus tard le 14 janvier 1902. Il suivit des études à
Montpellier. Le 27 juillet 1893, la faculté des Lettres de Montpellier
(Hérault) lui attribua le grade de bachelier de l’enseignement secondaire
classique (lettres-philososphie), avec la mention «
passable ». Le 21 septembre 1893, il s’inscrivit à la faculté de Droit qu’il
quitta en 1898. Le 15 juillet 1896, il obtint la première partie de sa
licence et termina sa seconde partie le 16 juillet 1906. Il décrocha un
doctorat de politique économique, le 23 mars 1906, avec la mention « assez bien
». Il était inscrit comme avocat dans L’Annuaire
de l’Hérault » de 1899. Lors de son élection comme
député, en 1910, un article de L’Humanité
écrivit que ce fut au cours de ses études à la
faculté de Droit de Montpellier qu’il devint socialiste en fréquentant des
étudiants russes. Il fut un fin lettré, amateur de musique et musicien. En
1896, il était membre du conseil de la société littéraire cettoise
« La Harpe » qui donna son nom à une revue. Il y publia des textes et des
poèmes, jusqu’aux environs de 1899. Ses goûts pour la culture l’amenèrent à
inviter, pour les fêtes locales de la Saint-Louis de 1902 (il venait d’être
élu Maire début 1902), le musicien Camille Saint-Saëns, le sculpteur Injalbert et le poète Jean Aicard. Le 1er mai 1903, au cours d’un
banquet socialiste, alors que tout le monde était « en pleine joie socialiste
», que les chants révolutionnaires fusaient, Molle se leva et débita le
dernier acte de Cyrano de Bergerac devant des militants qui attendaient
visiblement autre chose de sa part. Mais en y regardant de plus près, on peut
supposer que Molle avait voulu faire un trait d’humour avec un passage du
dernier acte (scène V) qui ridiculise l’image d’un Roi, malade d’avoir mangé
du raisiné de…Cette : (..) Ayant mangé huit fois
du raisiné de Cette, Le Roi fut pris de fièvre ;
à deux coups de lancette Son mal fut condamné pour
lèse-majesté,(…) Il écrivit une pièce de
théâtre, en un acte et trois tableaux, Angéla, qui fut jouée le 16 septembre 1907 sur la scène du casino le
Kursaal de Sète. En 1902, une crise politique
éclata au sein du conseil municipal de Cette. Le maire Honoré Euzet*, élu sous l’étiquette du POF en 1895, avait rompu
avec celui-ci en 1900. À la fin de 1901, cinq conseillers municipaux demeurés
fidèles aux idées du POF lui menaient une guerre sans merci, notamment sur la
question des congrégations et sur la remise de la Bourse du Travail à la
Fédération des chambres syndicales. Euzet refusait
et exigeait que les syndicats fissent acte d’allégeance à sa personne. Cinq
conseillers municipaux démissionnèrent, dont Louis Audoye*
et Pierre Vallat* qui avaient été les principaux
opposants. Ces démissions entraînèrent de nouvelles élections. C’est à cette
occasion que Molle fit son entrée sur la scène politique à l’appel des
militants du POF. Il se trouva à la tête d’une liste d’inspiration « ouvrière
» comportant cependant un usinier du nom d’Eugène Massonnaud.
Le 2 février 1902, à l’issue du premier tour des élections municipales, Molle
recueillit le plus grand nombre de voix : sur 5.653 votants, il obtint 3.358
voix ; Audoye vint en troisième position avec 3.062
voix et Vallat à la onzième place avec 2.912 voix.
La liste conduite par Molle fut élue dans son entier. À l’aube de ses
vingt-six ans, il devint maire (l’âge requis pour être maire était de 25 ans
à cette époque). Le dimanche 16 mars 1902, la ville de Cette était en fête.
Des délégations des Bourses du Travail de tout le Midi avaient
répondu à l’invitation de la ville de Cette de venir inaugurer la remise des locaux
de la Bourse du Travail de Cette aux travailleurs. La journée de liesse
populaire se termina aux accents de L’Internationale
et par des paroles pleines d’espoirs pour les
luttes à venir. D’autant que le mois de mai se profilait avec les élections
législatives et la remise en cause du siège du député radical-socialiste Jacques
Salis de la 3e circonscription de Montpellier (Cette-Frontignan-Mèze). Molle
fut désigné comme candidat du Comité de la Concentration socialiste. Au
premier tour, Salis arrivait en tête avec 5689 voix contre 3646 à Molle. Mais
ce dernier était en tête à Cette avec 2593 voix contre 2085 à Salis. Molle se
désista cependant au deuxième tour au profit de Salis et celui-ci fut réélu. Les
élections municipales de 1904, permirent à la ville de Cette de se réinscrire
dans le cours normal d’un processus électoral malmené en 1902. Molle fut
réélu dès le premier tour, dans un climat électoral très tendu, face à une
liste conduite par Vallat. Le 26 mars 1905, à
l’occasion d’une élection partielle, Molle devint conseiller général de
Cette, soutenu par un Comité d’Union républicaine. Le 25 février 1906, le
conseil fédéral fut réuni pour désigner les candidats de la SFIO aux
élections législatives. Molle se vit retirer l’investiture du Parti
socialiste qui lui opposa Pierre Vallat. Il faut
dire qu’en 1905, son adhésion avait été difficilement acceptée en raison de
son indiscipline passée à l’égard du POF. L’engagement qu’il avait pris,
contre l’avis du conseil fédéral, de se désister pour le candidat radical, si
celui-ci le précédait, lui coûta le soutien de la fédération socialiste.
Molle n’ayant pas eu l’investiture de la SFIO fut candidat malgré tout et
recueillit 3612 voix ; Vallat quant à lui n’en comptabilisa
que 108. L’année 1907, riche en
évènements, vit Molle prendre une part active dans la lutte contre les
impôts, aux côtés du Comité de défense des contribuables de Cette. Il
s’engagea très activement dans l’action du Comité d’Argeliers
et, au lendemain de la manifestation du 9 juin à Montpellier qui regroupa
plus de 500 000 personnes, il annonça, le 11 juin, la démission de son
conseil municipal et annonça la création d’un Comité de défense des intérêts
viticoles destiné à travailler avec le comité directeur d’Argeliers.
En tant que maire démissionnaire, il rencontra Clemenceau, fin juillet 1907
et déclara à la suite de cette entrevue, espérant « la pacification » : « D’ailleurs cette pacification, tout permet de penser qu’elle
est prochaine et l’entretien que nous avons eu avec M. Clemenceau nous donne peut-être
mieux que de l’espoir. Mais, on ne saurait trop le répéter, la pacification
définitive est moins affaire de politique qu’affaire de saine administration.
Tous ceux qui sont allés dans le Midi on pu se rendre compte de la misère
populaire. Seulement, ce qu’on ne voit pas et ce qui n’est pas moins grave, c’est
la misère profonde de toutes les finances municipales. Songez que dans chaque
commune, une partie de la population ouvrière ne vit que des « chantiers
communaux ». Les municipalités pour donner de l’ouvrage sont réduites à
entreprendre des travaux démesurés (…) ». En 1908, les élections
municipales pointèrent à l’horizon de mai. Les turbulences de la vie
politique qui avaient émaillé la vie cettoise depuis
1902 trouvèrent à nouveau le terrain de l’affrontement électoral. Le 21 mars
1908, trois groupes : Concentration socialiste révolutionnaire, Combat
socialiste révolutionnaire » et Parti ouvrier cettois
organisèrent un banquet pour commémorer la date inoubliable, pour eux, du 18
mars 1871 (soulèvement de la Commune de Paris). Après le banquet, tous les
convives participèrent à une conférence donnée par Molle. De son côté, le
comité radical, radical-socialiste et socialiste prit pour la circonstance le
nom de Comité radical-socialiste des intérêts de Cette. Euzet
était opposé à Molle et la campagne fut difficile dans un contexte de
revanche et de division du mouvement ouvrier cettois.
À mesure que le dépouillement des bulletins accumulait ceux ci en faveur d’Euzet, les partisans de ce dernier entonnèrent l’Ave Maria. Une telle
provocation ne pouvait rester sans riposte : en effet, eux qui digéraient mal
une défaite sur fond de querelle, entonnèrent une vibrante Internationale.
Dans une cacophonie qui confrontait les accents de « calotte » à ceux de
l’anticléricalisme quelques personnes montèrent sur les tables de
dépouillement. Celles-ci furent renversées. Les listes d’émargements
disparurent, et l’urne passa par la fenêtre. Les résultats varièrent selon
des sources diverses : on parla de 150, 200 et même 239 voix d’écarts entre
Molle et Euzet. Dans les jours qui suivirent
l’effervescence continua. La femme de Molle fut agressée dans la rue et fut
transférée à Montpellier afin d’être soignée. Une enquête fut diligentée. À
la suite de ces incidents, un arrêt du conseil de préfecture de l’Hérault du
23 mai 1908 déclara que les élections étaient annulées et qu’il faudrait
retourner aux urnes le 14 juin. Molle en tant que maire sortant, refusa d’en
assurer l’organisation. Le jour de ce scrutin, le dépouillement se déroula à huis-clos. La liste Euzet fut élue. En 1910, Molle, avocat, conseiller
général était également directeur de la maison Rubaudo
J.P, et Compagnie, entreprise de débarquement à Cette. Par ailleurs on
signala qu’il possédait un journal, Le Prolétaire, mais nous n’avons trouvé aucune trace de cette publication. En avril 1910, Molle postula
à la députation face à Salis et à un nommé Taillan,
soutenu par Euzet. Au premier tour, Molle arriva en
tête avec 5.562 voix contre 3.505 à Euzet et 2.590
à Taillan. Ce dernier fit savoir qu’il se
maintenait au deuxième tour. Salis, quant à lui, se retira pour « rentrer
dans le rang » et ne lança aucun appel de désistement en faveur de Molle.
Molle fut élu au deuxième tour avec 6.668 voix contre 5.594 à Taillan. L’Humanité
du 9 mai 1908, présenta la victoire de Molle : « (…) Ainsi que nous l’écrivent les amis de là-bas, l’élection
de Jean L’Heureux Molle a donné une unité de plus à la phalange de jeunes qui
sous les plis de notre rouge drapeau viennent de pénétrer au Palais Bourbon.
Molle est en effet âgé de 34 ans à peine et voici cependant plus de dix
années qu’il milite pour son pays, l’Hérault, dans Cette, sa ville natale (…)
» Son activité politique fut
désormais consacrée à son mandat de parlementaire. Inscrit au groupe de l’Union
républicaine radicale – socialiste, membre de diverses commissions dont celle
de la marine, il s’intéressa à tous les sujets et ne tarda pas à se
manifester, tant par des dépôts de textes que par de nombreuse interventions.
Il resta vigilant pour les questions portuaires et celles relatives à la
marine. Ce fut dans le contexte de la révolte des ouvriers vignerons de
Champagne au début de 1911, que se déroula à l’Assemblée Nationale le 6
février 1911 un débat sur la situation en Champagne et les mesures que
voulait proposer le gouvernement. Molle intervint dans les discussions, avec
le souci des ouvriers et la volonté de préserver la spécificité des problèmes
de la de la situation viticole méridionale. Au début de janvier 1912, la
question coloniale fut en débat. L’Humanité
du 20 janvier titra « À la Chambre – les scandales
tunisiens – Discours de Charles Dumas et de Molle ». Il développa un point de
vue dont nous reproduisons un extrait : « (…)
Nous retombons ainsi dans une de ces erreurs fondamentales que nous cessons
de pratiquer et de proclamer en ce qui concerne l’organisation coloniale.
Nous voulons, dans nos colonies, des organisations qui soient comme les
reflets de l’organisation métropolitaine ; nous voulons en, quelque sorte que
nos colonies soient faites à l’image de la métropole elle-même et que les
indigènes soient stupidement régis par les règles qui nous régissent
nous-mêmes. Telle est la faute qui méconnaît l’œuvre des siècles passés, les
errements que nous ne détruirons jamais, et ce n’est pas à notre honneur de
rappeler que des pays comme l’Angleterre n’ont dans leur organisation
coloniale qu’un seul souci : respecter les institutions des pays de colonies.
Il ne faut pas croire que, parce que la Tunisie n’est séparée de la France
que par la Méditerranée, nous pouvons transplanter dans ce monde mahométan ce
qui est notre civilisation, que nous pouvons transformer entièrement l’esprit
et les mœurs des indigènes tunisiens (…) ».
Molle exprima donc un point de vue qui traduisait les difficultés du
mouvement socialiste face à la question coloniale. Ce fut donc pour préserver
son unité que le groupe socialiste adopta l’ordre du jour suivant : « Le
groupe, en présence des divergences qui se sont produites dans son sein, ne
croit pas devoir engager le Parti sur une question de cette gravité. ». En mars 1912, il fut très présent dans les débats
concernant l’organisation du travail portuaire et la durée de travail.
Partant de son expérience cettoise, il combattit
les positions patronales défendues notamment par le député Louis Dubois.
Faisant référence aux syndicats, il déclara : « Mettez aux mains des organisations ouvrières la consécration
légale de la journée de dix heures et les syndicats – ils le font déjà –
veilleront à ce que les membres inscrits dans leur organisation ne
travaillent pas au-delà de la limitation légale. » Molle fut réélu député aux élections législatives de mai
1914 et continua inlassablement son activité. Il retrouva sa place dans la
commission de la marine marchande et devint membre de la commission des
comptes définitifs et des économies. Le 25 janvier 1916, une discussion
générale fut engagée à la Chambre, concernant le rôle de la presse en temps
de guerre, autrement dit un débat qui tourna autour de la censure. Molle
défendit une position, rapportée par L’Humanité
et Le
Petit Parisien, qui selon ses termes soulignait : « Il faut établir un régime de liberté réglementé qui permettra
à la presse d’émettre son avis sans fausser l’opinion publique ». Sa vie se termina, le 27 septembre 1918, avant que ne fût
signé l’armistice. Le président de l’Assemblée, Paul Deschanel, lui rendit
hommage lors de la séance du 1er octobre 1918. Ses obsèques furent célébrées en l’église
Sainte-Élisabeth, non loin de son domicile parisien. Les honneurs militaires lui
furent rendus par le bataillon du 187e régiment de ligne, accompagné par une musique militaire. L’inhumation
eut lieu ensuite au cimetière de Pantin. Le conseil municipal de Cette lui
rendit hommage dans sa séance du 24 octobre 1918. Une rue de Sète est nommée
depuis le 18 juin 1930, Rue Député Molle. SOURCE : Jacques Blin, Molle
Jean Joseph L’Heureux, Député-Maire de Cette,
Sète, Éditions Flam 2001, 236 p. (ouvrage
biographique comprenant en annexes les principales interventions de Jean Joseph
l’Heureux Molle à l’Assemblée nationale). Jacques BLIN
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